Entretien dans l'atelier du Père Diadoque

( extrait du livre "Starets Silouane" pages 70-71)

Pendant de nombreuses années, le grand atelier de couture du Monastère fut confié aux soins du père Diadoque, moine modèle en tout, exact jusqu’à la pédanterie ; aimant beaucoup les services liturgiques, ayant beaucoup lu, d’un tempérament silencieux, noble dans ses relations avec les gens, il jouissait de la considération générale. Un jour, lors de la fête de son saint patron, en entrant chez lui, je le trouvai en compagnie de ses amis spirituels : d’un père confesseur, du père Trophime et du starets Silouane. Le père confesseur leur avait raconté quelque chose qu’il avait lu dans un journal et, se tournant vers le starets Silouane, lui demanda :

–     Et vous, père Silouane, qu’en dites-vous ?

–     Moi, cher père, je n’aime pas les journaux ni les nouvelles de la presse, répondit-il.

–     Et pourquoi ?

–    Parce que la lecture des journaux obscurcit l’esprit et constitue un obstacle pour la prière pure.

 

–     C’est étrange, dit le confesseur. À mon avis, au contraire, les journaux aident à prier. Nous vivons ici au désert, nous ne voyons rien, et ainsi l’âme oublie progressivement ce qui se passe dans le monde, se renferme en elle-même, et de ce fait la prière se relâche. Quand je lis des journaux, je vois comment vit le monde et combien les hommes souffrent, et cela provoque en moi le désir de prier. Alors, soit que je célèbre la liturgie, soit que je prie dans ma cellule, de toute mon âme j’intercède auprès de Dieu pour les hommes et pour le monde.

–    L’âme, quand elle prie pour le monde, sait mieux sans journaux comme toute la terre souffre, elle sait quels sont les besoins des hommes et elle a compassion d’eux.

–    Comment l’âme peut-elle savoir par elle-même ce qui se passe dans le monde ? demanda le confesseur.

–     Les journaux ne nous informent pas sur les hommes, mais sur les événements, et cela d’une manière inexacte ; ils jettent l’esprit dans le trouble et, malgré tout, ne nous apprennent pas la vérité. La prière, par contre, purifie l’esprit et il voit mieux toutes choses.

–     Ce n’est pas clair pour moi ; que voulez-vous dire ? demanda à nouveau le confesseur.

Tous attendaient la réponse du starets Silouane, mais, lui, il restait assis silencieux, la tête inclinée, ne se permettant pas en présence du confesseur et de vieux moines d’expliquer de quelle manière l’âme, éloignée de tout et priant pour le monde entier, peut connaître par l’esprit la vie du monde, les besoins et les souffrances des hommes.

(Archimandrite Sophrony : "Starets Silouane, moine du Mont Athos, Editions Presence, p 70-71))