LE SAINT-ESPRIT DANS LA VIE DU CROYANT
selon l’Archimandrite Sophrony
Dans les écrits du bienheureux Starets, le mot « grâce » revient constamment. Pour faciliter la compréhension de ce terme, nous allons brièvement exposer la manière dont un moine orthodoxe conçoit la grâce.
En russe, le mot pour désigner la grâce se dit blagodat’. Par sa structure sémantique, il relève de la racine blag, qui exprime la notion debonté, et de celle de dat’, qui exprime la notion de don.
Ce terme exprime donc, dans une certaine mesure, la notion théologique et la nature de la grâce, c’est-à-dire « don bienfaisant de Dieu », ou « don de la bonté de Dieu », la force (énergie) incréée de la Divinité (Starets Silouane, p. 180).
En tant qu’énergie incréée de Dieu, la grâce est, selon la conception orthodoxe, la « Divinité ». Quand, dans sa bienveillance, la Divinité s’unit à l’être humain, l’homme voit, ressent en lui l’action de la force divine qui le transfigure et le rend semblable à Dieu non plus potentiellement seulement — « à l’image » —, mais actuellement — « à la ressemblance » —, selon une participation ontologique. La grâce, la Divinité sanctifie l’homme, le déifie, c’est-à-dire lui donne le mode de l’existence divine.
Nous l’avons déjà dit, le commandement du Christ n’est pas une norme éthique, mais il est en lui-même la vie éternelle et divine. Dans sa nature créée, l’homme n’a pas cette vie en lui-même, et c’est pourquoi il ne peut, par ses propres forces, accomplir la volonté de Dieu, autrement dit vivre selon les commandements de Dieu. Mais il est propre à l’homme de tendre vers Dieu et vers la béatitude de la vie divine. Ses élans ne resteraient cependant que des aspirations irréalisables, si la force divine — la grâce — ne venait pas à sa rencontre, elle qui est justement ce que l’on cherche (pp. 180-181).
Selon le témoignage catégorique du Starets, c’est par le Saint-Esprit que l’on connaît la divinité de Jésus-Christ. Celui qui a connu de cette manière la divinité du Christ comprendra par son expérience spirituelle le mystère de l’union sans confusion des deux natures et des deux volontés. C’est aussi grâce au Saint-Esprit que l’expérience spirituelle fera comprendre la nature incréée de la Lumière divine, et les autres dogmes de notre foi. Mais il faut soigneusement noter que cette conscience dogmatique, qui vient de l’expérience de la grâce, diffère qualitativement de la conscience dogmatique, extérieurement toute pareille, qui résulte soit de la « foi par ouï-dire », soit de l’érudition scientifique ou encore de convictions philosophiques (pp. 184-185).
Dès son jeune âge, le bienheureux Starets avait ressenti en lui le besoin de trouver la vraie vie ; il recherchait ardemment cette réalité qui porte en elle-même un témoignage, irréfutable pour notre esprit, sur la vie éternelle. Témoignage aussi irréfutable que la conscience de notre propre existence terrestre (p. 186).
Le Starets dit :
« Ô Saint-Esprit... Tu m’as révélé un mystère insondable. »
Et si on lui demandait : « Dévoile-nous le mystère que le Saint-Esprit t’a donné de connaître », la réponse n’était pas celle à laquelle on s’attendait. Il disait :
« Le Saint-Esprit, d’une manière invisible, donne la connaissance à l’âme.
« Il m’a donné de connaître le Seigneur, mon Créateur. Il m’a donné de connaître combien le Seigneur nous aime... Expliquer cela n’est pas possible... » (p. 330).
Telle est la pauvreté dialectique du Starets. Pourtant, il serait faux de l’attribuer à son manque d’instruction. En effet, même un homme exceptionnellement doué sur le plan intellectuel et habitué à penser en mode rationnel restera également privé de moyens d’expression quand il touchera aux réalités dont parlait le Starets. Là, il ne peut y avoir de « richesse » de la pensée et des concepts théologiques. La parole humaine est incapable d’exprimer cette vie à laquelle nous sommes appelés et que Dieu nous donne. Le Seigneur lui-même s’est abstenu de la décrire en paroles, mais il a dit : « Quand viendra l’Esprit de Vérité, alors il vous enseignera toute vérité [...] et en ce jour-là vous ne m’interrogerez plus sur rien » (Jean. 16, 13. 23) (p. 187).