Père Sophrony : Lettre à Maria
« Le jour de notre mort est le grand événement de notre vie. »
Le 15 septembre 1966,
[…] C'est avec tristesse que j'ai lu tes paroles me disant que tu ne trouves pas en toi d'inspiration à la pensée que, d'une manière ou d'une autre, la mort s'approche de toi. Il me semble (peut-être que je me trompe) que, sur tous les plans, ta vie te permet de consacrer ton esprit, tes pensées à la Source Première de notre vie et à la nécessité pour nous d'aller consciemment et sciemment vers Elle enrichis par la connaissance de son immense Sagesse. Tu n'as pas à présent d'obligation directe envers qui que ce soit. Tu es parvenue à un âge où la société s'estime obligée de prendre soin de toi, de t'assurer le pain, le logis et le vêtement. Ainsi, utilise le privilège de ton âge et, sans relâche, élance-toi de tout ton esprit, de tout ton cœur vers l'Éternel, vers ton Père. Alors, j'en suis sûr, tu sentiras en toi une joie d'une autre nature, d'un autre « goût », et tu verras que le jour de notre mort est le grand événement de notre vie. Les approches de la mort sont douloureuses, mais la mort elle-même, c'est tout autre chose. Cette paix qui s'empare de tout notre être est si merveilleuse, si embaumée que celui qui en a fait l'expérience ne peut désormais se satisfaire de rien dans cette sphère grossière de la vie terrestre :
"Et les chants ennuyeux de la terre
Ne pouvaient remplacer les célestes sons" (1)
Chère Maria, ne te laisse pas déprimer, ne te laisse pas aller sans lutter à des pensées de désespoir. Crois fermement que notre être ne se réduit pas aux limites de ce que nous percevons ici-bas par nos sens ou par notre raison. L'être est incomparablement plus vaste, plus riche, plus beau, plus illimité. Vouloir décrire cet être avec les concepts empiriques de notre plan terrestre serait une tentative faite avec des moyens inadéquats. Ce qui est situé au-delà des limites de l'Histoire de notre monde peut être présenté dans une certaine mesure au moyen de « symboles », sous l'aspect de « mythes », sous forme de récits intentionnellement simplifiés. Et cela est plus proche de la représentation de la réalité dont nous essayons de parler que tous les essais qui démontrent « logiquement » quoi que ce soit. Dans notre esprit se trouve une capacité innée d'entrer directement dans le plus étroit et le plus vivant des contacts avec cette réalité par la voie de la foi. Oh ! nous avons tellement reçu du Christ et du Saint-Esprit que nous n'avons aucune justification dans notre abattement […]. Pardon, je me suis permis de te faire un sermon par suite de la note de tristesse que j'ai sentie dans ta lettre à propos du « début de notre marche » [départ] qui, peut-être, sera le sort de Katia […][2].
Que le Seigneur te donne les forces de l'esprit, de l'esprit de sagesse pour aller à la rencontre de ce nouvel événement avec une vraie résolution de pénétrer par l'esprit dans la vie future, et de prier auprès du cercueil ou de la tombe de Katia avec un nouvel état d'esprit et une plus profonde espérance.
[1] Lermontov, L'Ange.
[2] Ekaterina, sœur du P. Sophrony et de Maria, mourut quelques jours après cette lettre, le 28 septembre 1966.
Lettre publié dans la revue de l'Association "Buisson Ardent" N° 5 (1999)