Métropolite Hiérothéos (Vlachos) de Nafpaktos [i]
Tous ceux qui s’intéressent aux questions religieuses parlent de vie spirituelle, ayant en vue la voie par laquelle l’homme accédera au salut. Dans ce sens, toutes les dénominations chrétiennes, ainsi que plusieurs religions parmi les plus connues, parlent d’esprit et de vie spirituelle.
L’expression « homme spirituel » est également utilisée pour désigner quelqu’un qui s’occupe de la vie culturelle, de tout ce qui se trouve au-delà du biologique donc, et, dans ce sens, on parle d’hommes spirituels en se référant à des personnes qui s’intéressent à la littérature, au théâtre, aux sciences, etc.[1]
En revanche, dans l’Église orthodoxe, quand on parle de personnes spirituelles, on entend des personnes dans lesquelles vit le Saint-Esprit, et qui, par là même, sont membres du Corps de l’Église, membres du Corps du Christ.
Dans ce qui suit, j’essaie de faire une courte analyse de cette réalité, et d’exposer ce qu’est la sainteté et comment l’homme peut y accéder. Autrement dit, quelle est la méthode suivie par tous les saints dans leur cheminement vers la déification.
I. Vie spirituelle
Comme nous venons de le dire, la vie spirituelle selon l’Église orthodoxe consiste dans la communion à l’Esprit Saint ; c’est la vivante présence du fidèle dans le Corps du Christ, l’Église. L’homme doit maintenir sa relation avec la Tête de l’Église, le Christ, et se guider sur Lui, être dirigé par Lui. Le Christ étant inconcevable sans le Père et le Saint-Esprit, puisque l’énergie des Personnes de la Sainte Trinité leur est commune, la communion de l’homme avec le Christ est communion avec le Dieu Trinitaire.
L’apôtre Paul parle de la liberté de l’homme en tant que fruit de la venue du Saint-Esprit. Il écrit : « Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs » (Romains8, 15). En recevant l’Esprit Très Saint, l’homme, d’esclave qu’il était, devient libre dans le Christ Jésus.
Il est un indice qui montre que l’homme a acquis cet esprit d’adoption et qu’il est libéré de l’esclavage des passions. Cet indice est la présence de l’énergie du Très Saint Esprit dans le cœur, « qui nous fait nous écrier : Abba ! Père ! L’Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu » (Romains8, 16). Quand la grâce de Dieu entre dans le cœur humain, l’oraison mentale incessante [noéra-kardiaki] agit dans le cœur. Le Saint-Esprit lui-même témoigne alors à notre esprit, à notre âme, que nous sommes enfants de Dieu et qu’on a reçu l’adoption.
Voilà le signe de l’adoption selon la grâce, et l’indice que l’homme appartient au Corps du Christ. C’est pourquoi l’apôtre Paul dit : « Qui n’a pas l’esprit du Christ ne Lui appartient pas » (Romains8, 10).
L’indice, donc, que l’homme est Fils de Dieu par grâce ainsi que membre vivant de l’Église est qu’il a reçu le Saint-Esprit. Quant à la preuve qu’il a reçu le Saint-Esprit et qu’il appartient au Christ, elle consiste en ce que l’oraison mentale, la prière du cœur, naît dans son cœur.
Certes, les sacrements, surtout celui de l’eucharistie, ne sont pas ignorés. La participation aux sacrements, surtout à l’eucharistie, n’est cependant pas indépendante de la tradition ascétique et de l’énergie de l’Esprit Très Saint dans le cœur, qui se révèle par l’oraison mentale du cœur.
II. Degrés ou modes d’ascension spirituelle
La vie spirituelle est une voie qui comporte plusieurs ascensions, plusieurs modes, plusieurs expressions, plusieurs degrés. De même que, pour obtenir des connaissances humaines, l’homme doit passer par plusieurs étapes, de même le chrétien doit passer par plusieurs étapes et plusieurs degrés pour accéder à la connaissance spirituelle. Les degrés de la vie spirituelle dépendent, bien sûr, de la participation au Saint-Esprit et du mode de son opération. D’ailleurs, il ne s’agit pas d’états statiques, mais d’un cheminement, d’une ascension continuelle, ainsi que de fluctuations dans la participation à la grâce divine.
Saint Jean Climaque offre une description détaillée des degrés de l’échelle spirituelle par laquelle l’homme monte vers la connaissance de Dieu. Il commence par le renoncement et la retraite du monde, puis il continue par l’exil volontaire, l’obéissance, etc. pour arriver à l’amour. Il examine toutes les thérapeutiques destinées à la guérison des passions et à l’acquisition des vertus en tant que fruits du Saint-Esprit. Quant à la « brève exhortation, récapitulant tout ce qui a été développé » dans l’Échelle, elle consiste en ceci : « Montez, montez, frères, disposez avec ardeur des ascensions dans vos cœurs (Psaume 83, 6). Prêtez l’oreille à celui qui a dit : « Venez, allons à la montagne du Seigneur, à la maison de notre Dieu » (Isaïe 2, 3) »[2].
A. Cheminement vers la déification
L’homme a reçu de Dieu le don d’être à Son image et à Sa ressemblance. L’image est donnée, alors que la ressemblance, qu’on identifie à la déification, en est l’achèvement. Mais voilà que, par sa chute, l’homme a perdu la capacité de parvenir à la déification, et ce qui était « selon l’image » de Dieu en lui s’est obscurci. L’incarnation du Christ a eu comme but de déifier la nature humaine ; par la suite, avec le baptême, l’image est purifiée, l’intellect est illuminé et l’homme est conduit vers la déification.
L’apôtre Paul se réfère à cette marche vers la déification. Il écrit, selon la traduction de la Bible de Jérusalem : « Nous sommes devenus participants du Christ, si toutefois nous retenons inébranlablement jusqu’à la fin, dans toute sa solidité, notre confiance[3] initiale » (Hébreux3, 14). Le fondement de notre personne est l’image de Dieu et notre ressemblance à Dieu, reçues dès le début de notre création ; par la suite, c’est le don de la grâce du baptême et de la chrismation qui purifient le cœur, illuminent l’intellect et déifient l’homme. Pourvu qu’on garde, comme on le doit, ce fondement hypostatique jusqu’à la fin, on participe du Christ. Par conséquent, la participation au Corps du Christ, loin d’être un état statique, est liée à une marche dynamique, faite avec l’aide de la grâce de Dieu, en vue de la purification du cœur, de l’illumination de l’intellect, et de la déification.
Les épîtres de saint Paul parlent d’hommes charnels, psychiques et spirituels. L’apôtre écrit aux Corinthiens : « Vous êtes encore charnels » (I Corinthiens3, 3). Sont qualifiés de charnels ceux qui se trouvent sous l’empire de diverses passions, ce qui indique qu’ils ne possèdent pas l’Esprit Saint. En même temps, ces hommes sont appelés psychiques. Saint Paul écrit aux Corinthiens : « L’homme psychique n’accueille pas ce qui est de l’Esprit de Dieu » (2, 14). Il est clair que les hommes charnels ainsi que les hommes psychiques n’ont pas de relation avec l’Esprit Saint et ne peuvent pas être appelés spirituels. Aussi l’apôtre continue-t-il : « L’homme spirituel, au contraire, juge de tout, et lui-même n’est jugé par personne » (2, 15). L’homme spirituel est celui qui est rempli par le Saint-Esprit. Cet état se manifeste par l’oraison mentale opérée dans le cœur, selon l’exhortation de l’apôtre Paul : « Cherchez dans l’Esprit votre plénitude. Récitez entre vous des psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés ; chantez et célébrez le Seigneur dans votre cœur » (Éphésiens5, 18-19).
L’ascension spirituelle consiste donc à ce que l’homme, de charnel et de psychique qu’il était, c’est-à-dire d’homme qui ne possède pas le Saint-Esprit dans son cœur, devienne spirituel, autrement dit qu’il soit rempli de l’amour de Dieu, ce qui se manifeste par l’oraison mentale incessante dans le cœur.
B. Visitations de la grâce divine, déréliction et retour de la grâce
Dieu aime l’homme et Il l’attire par son amour. Durant cette marche, l’homme doit mener un double combat : d’un côté contre son vieux moi, habitué à vivre dans les passions, et de l’autre, contre les esprits mauvais.
Dans leurs œuvres, les saints Pères parlent de cette marche, qui connaît de nombreuses fluctuations. Saint Diadoque de Photicé, par exemple, écrit que Dieu enveloppe l’homme dans Sa lumière au début de sa vie spirituelle, lui indique le chemin qu’il doit suivre, en même temps qu’Il lui montre la fin de ce chemin. Cependant, Dieu retire parfois Sa grâce, ou se cache afin d’obliger l’homme à Le rechercher, tout comme une mère le fait pour inciter son enfant à la retrouver. La rencontre de l’homme avec Dieu à la suite de cette épreuve spirituelle est d’une valeur plus grande.
Saint Macaire l’Égyptien se réfère à cette évolution dans la vie spirituelle. Il écrit : « Celui qui entend la Parole arrive à la componction ; puis, après cela, la grâce se retirant par économie pour l’utilité de l’homme, il entre dans le gymnase, est formé pour la lutte, engage le combat et la bataille avec Satan, et, après une longue route et beaucoup de combats, il remporte la victoire et devient un chrétien. »[4]
Ce développement spirituel est présenté clairement dans la Sainte Écriture ainsi que dans les écrits patristiques comme « foi par ouï-dire », puis « foi par la vision » (theoria). Au début, on entend parler de Dieu et, seulement après plusieurs combats et plusieurs visitations de la grâce divine, on parvient à la « foi par la vision » (theoria).
C. Praxis et theoria, ascèse et contemplation
Cet échelonnement et cette marche sont également exprimés par les termes praxis et theoria, soit « action » et « vision ».
Quand les textes de saint Maxime le Confesseur parlent de praxis, ils visent le repentir et tout ce en quoi il consiste, et quand ils évoquent la contemplation divine, ils visent la participation à l’énergie déifiante de Dieu. Cette participation s’effectue de diverses manières, par l’illumination de l’intellect et la contemplation de la Lumière incréée. Ainsi l’homme est appelé « actif » (praktikos), quand, secouru par la grâce divine, il lutte pour l’emporter sur ses passions. Dans ce cas, il est « éleveur de bestiaux » (ktenotrofos), puisqu’il domestique des bêtes-passions. Il est, et est appelé « contemplatif » (theoretikos) quand il vit l’expérience de la contemplation, auquel cas il est « berger des brebis ».
Dans les œuvres du saint Maxime le Confesseur, on rencontre également une analyse de la « philosophie pratique », de la « contemplation naturelle » et de la « théologie mystique ». Par philosophie pratique, il désigne le combat que l’homme mène, avec la grâce de Dieu, afin de se débarrasser du plaisir et de la douleur. La contemplation naturelle consiste dans l’effort pour se débarrasser de l’oubli et de l’ignorance. À cette étape commence l’opération de la prière mentale. Quant à la théologie mystique, elle est la libération de l’homme de sa propre imagination, puisqu’il est jugé digne de la contemplation de la Lumière incréée.
L’Église, par la main de l’hymnographe sacré, a composé un tropaire pour célébrer la mémoire des saints hiérarques (évêques) martyrs, qui démontre l’importance de ce cheminement. « Ayant partagé le genre de vie des apôtres et devenu leur successeur sur leur trône, tu as trouvé dans la pratique des vertus la voie qui mène à la divine contemplation ; c’est pourquoi, dispensant fidèlement la parole de vérité, tu luttas jusqu’au sang pour la défense de la foi ; Éleuthère, martyr et pontife inspiré, intercède auprès du Christ notre Dieu pour qu’il sauve nos âmes » (cf. Ménée, 15 décembre).
Ici, on voit clairement que la succession sur le trône des apôtres est liée à la participation au genre de leur vie. Tout comme les apôtres ont suivi le Christ et sont parvenus à la vision de la gloire incréée de Dieu dans la nature humaine du Christ, et tout comme ils ont reçu le Saint-Esprit, ainsi les évêques doivent aussi, en tant que successeurs des apôtres, partager ce genre de vie.
On y trouve, de plus, soulignée la voie par laquelle on devient successeur du genre de vie et du trône des apôtres. Cela se fait par la praxis, la purification [pratique des vertus], qui est l’échelon qui conduit vers la vision de Dieu [« la voie qui mène à la divine contemplation »]. C’est ainsi que l’évêque dispense fidèlement la parole de vérité, peut souffrir pour la vérité et même y sacrifier sa propre vie. La confession de la vérité n’est pas une question d’érudition ni d’études dans une Faculté de théologie. Dans le même sens, le martyre n’a rien de commun avec un zèle selon la volonté humaine, mais il est lié à l’expérience du Saint-Esprit et à la participation à la contemplation divine.
D. Purification, illumination, déification
Les Pères ont établi pour cette praxis et cette theoria, cette philosophie pratique ou « pratique », contemplation naturelle ou « illumination », et cette théologie mystique ou theoria, contemplation ou vision de Dieu, les termes de purification, illumination et déification.
Le Christ a proclamé : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jean14, 6). Le chemin est la voie vers la purification ; la vérité est la participation à la vérité qui commence avec l’illumination de l’intellect ; quant à la vie, on y participe par la contemplation-déification.
L’homme, comme être créé par Dieu, possédait un intellect illuminé. Il conversait avec Dieu et, en persévérant dans cet état afin de s’y stabiliser, il devait parvenir à la déification. Cependant, le péché a obscurci son intellect et a obscurci en lui ce qui était créé à l’image de Dieu. Dès lors, le salut consiste en ce que l’image soit purifiée, que l’intellect soit illuminé et que lui-même parvienne à la déification. La purification de l’homme commence avec la catéchèse, alors que le baptême et la chrismation font participer l’homme à l’illumination, et c’est pour cette raison que le baptême est aussi appelé illumination. Par la sainte communion enfin, l’homme participe à la déification.
Les sacrements sont aussi liés à la vie ascétique. Selon l’enseignement des Pères, la grâce divine est qualifiée selon l’influence qu’elle a sur l’homme. Si elle purifie l’homme de ses passions, elle est appelée grâce et énergie purifiante ; si elle l’illumine, elle est appelée énergie illuminante, et si elle le déifie, elle est appelée déifiante. Toujours selon les Pères de l’Église, le même Dieu est et s’appelle purification de ceux qui sont au stade de la purification, Lumière de ceux qui sont en voie d’illumination, déification de ceux qui en font l’expérience. Il ne s’agit bien sûr pas d’un état statique, mais d’un cheminement avec des changements et des fluctuations. De la purification, l’homme peut être amené à l’illumination, mais il peut également retourner à l’impureté, puisque le danger de la chute existe toujours. Il se peut qu’il monte de l’illumination à la contemplation divine et qu’une fois la contemplation-vision de la gloire de Dieu terminée, il redescende au niveau de l’illumination.
Plusieurs textes néotestamentaires font mention de la purification, de l’illumination et de la déification. On rencontre également cette tradition dans les épîtres de saint Paul. L’apôtre Paul parle ici de la purification des passions, là de l’illumination de l’intellect et de la prière intérieure ininterrompue, et ailleurs encore de la contemplation divine. D’autre part, le Christ parlait aux multitudes « en paraboles », puisqu’elles n’étaient pas prêtes pour l’enseignement des mystères divins, mais à Ses disciples qui l’interrogeaient, Il expliquait les paraboles selon la parole : « À vous il a été donné de connaître les mystères du Royaume de Dieu » (Luc8, 10) ; et à trois parmi eux Il a montré Son Royaume, quand Il les a amenés sur le mont Thabor et leur a manifesté la gloire de Sa divinité.
La purification, l’illumination et la déification paraissent aussi dans les œuvres de saint Denys l’Aréopagite et dans les écrits de saint Grégoire le Théologien. On rencontre cette même distinction dans les œuvres de plusieurs Pères de l’Église. Ainsi, saint Syméon le Nouveau Théologien a écrit les Centuries de chapitres pratiques, gnostiques et théologiques ; les écrits de saint Grégoire Palamas contiennent des Chapitres éthiques, naturels et théologiques ; quant à la Philocalie des Pères neptiques, elle fait mention de ces échelons déjà dans son sous-titre : [Philocalie] dans laquelle, par une sagesse de vie, faite d’ascèse et de contemplation, l’intelligence est purifiée, illuminée, et atteint la perfection.
Saint Nicétas Stéthatos offre une analyse plus détaillée de ces étapes de la vie spirituelle. Il écrit que les hommes qui luttent pour leur salut appartiennent à l’un des trois ordres suivants : le premier est l’ordre purificatoire, le deuxième est l’ordre illuminant et le troisième est l’ordre mystique, appelé également perfectionnant. Ces trois ordres correspondent aux débutants, aux moyens et aux parfaits. En passant par ces trois ordres, l’homme se développe vers « l’âge du Christ ». Autrement dit, il se développe jusqu’« à constituer cet homme parfait, dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ » (Éphésiens4, 13).
L’ordre de ceux qui viennent d’entrer dans le combat de la piété, ou ordre purificatoire, est étroitement lié au repentir. Par se repentir, on entend, d’un côté, se dépouiller du vieil homme, de l’homme terrestre (cf. I Corinthiens15, 47-49) et, de l’autre, revêtir l’homme nouveau (cf. Ibid. 4, 24), renouvelé par l’action de l’Esprit Très Saint. Ce repentir, vécu au niveau purificatoire, se manifeste par la haine de la matière, l’épuisement de la chair par le jeûne et les veilles, par la fuite loin de tout ce qui pourrait exciter les passions, par les larmes, par le remords pour les péchés commis, par la correspondance du comportement extérieur à la rectitude de l’esprit, par la purification de l’intellect de toute souillure à l’aide de la sainte componction, par la venue de la Parole dans l’intellect. Cet ordre se caractérise d’une manière générale par le repentir et s’exprime par une vie d’ascèse. Alors, l’homme éteint la violence du feu inhérent à la nature déchue (cf. Hébreux11, 34), il ferme la gueule aux passions sauvages (cf. Ibid. 11, 33), et devient fort pour le combat (cf. Ibid. 11, 34).
À l’ordre illuminant appartient la première impassibilité. Les caractéristiques de cette étape sont la connaissance des êtres [des étants], la contemplation des logoi de la création et la participation à l’Esprit Saint. Les fruits de l’illumination sont la purification de l’intellect par la grâce divine, qui brûle le cœur comme un feu, l’ouverture spirituelle des yeux du cœur et la naissance dans l’intellect du logos de la connaissance qui se manifeste par des notions subtiles. Autrement dit, dans cet état, l’homme reçoit le don de l’oraison mentale incessante et parvient à la connaissance de Dieu. De plus, il connaît les choses divines ainsi que les choses humaines, et perçoit la révélation des mystères du Royaume des cieux. Dans cet état, l’homme est amené au ciel, tout comme le prophète Élie, et parcourt les cieux.
L’ordre mystique et perfectionnant est celui des parfaits, de ceux qui deviennent les véritables théologiens de l’Église. L’homme en cours de déification est en communion avec les puissances angéliques, approche la Lumière incréée, alors que l’Esprit lui révèle les profondeurs de Dieu, c’est-à-dire qu’il voit l’énergie incréée, essentielle et déifiante de Dieu. Cet homme connaît plusieurs mystères de la Sainte Écriture qui restent cachés à la plupart des gens. Tout comme l’apôtre Paul, il est ravi jusqu’au troisième ciel de la théologie, il entend des « paroles ineffables » (cf. 2 Corinthiens12, 2-4) et il contemple des choses qui restent cachées aux yeux humains. Il devient théologien « au milieu de l’Église » (cf. Psaume21, 23, Septante) et goûte le repos bienheureux, étant parfait dans le Dieu parfait.
De nos jours, on constate une confusion dans la vie ecclésiale et spirituelle, car il arrive souvent que la théologie soit mêlée à la pensée religieuse, la vie ecclésiale à diverses formes institutionnelles anthropocentriques, la vie spirituelle à de nébuleuses analyses moralisantes. Si quelqu’un aborde les questions de la vie spirituelle en suivant l’enseignement des saints Pères, il est considéré comme rétrograde et intégriste.
Une mentalité nébuleuse et une vie « spirituelle » sans Esprit, une vie sans participation à l’Esprit Saint, mène au syncrétisme, qui est étranger à la vie orthodoxe. Voilà pourquoi les gens d’aujourd’hui ont du mal à distinguer la théologie orthodoxe d’autres « théologies », l’Église orthodoxe d’autres dénominations ou religions. C’est en cela que consiste le phénomène de la sécularisation.
Dans l’exposé présenté ci-dessus se trouve résumée la vie spirituelle orthodoxe telle qu’elle fut vécue par tous les saints de l’Église ainsi que par les vrais moines jusque de nos jours.
Il est impératif que les vies des saints soient étudiées dans cette perspective, sinon ces derniers ne seront pas considérés comme ce qu’ils sont, des personnes déifiées, mais plutôt comme de « bonnes » personnes, qu’on peut rencontrer dans tout système humaniste et dans toute tradition religieuse. Cependant, la déification n’est accordée qu’au sein de l’Église, car c’est en elle que l’homme, par voie d’ascèse légitime, participe en même temps à l’énergie purifiante et illuminante de Dieu, ainsi qu’à Son énergie déifiante, et qu’il devient saint.
Traduit du grec par Sœur Andréa
(Monastère de la Nativité de la Mère de Dieu, Asten, Pays-Bas)
[1] En grec moderne, il existe un parallèle entre pneuma (esprit) et dianoia (intelligence), ce qui aboutit à identifier le spirituel avec l’intellectuel (N. d. T).
[2] Saint Jean Climaque, L’Échelle Sainte, trad. par le P. Placide Deseille, Bégrolles-en-Mauge, Abbaye de Bellefontaine, 1987, 2e édition, p. 311.
[3] Tèn arkhèn tès hypostaseôs, littéralement « le fondement de [notre] hypostase », ou « notre hypostase initiale » [N. d. T.].
[4] Saint Macaire le Grand, Homélies spirituelles, Bégrolles-en-Mauge, Abbaye de Bellefontaine, 1984, p. 269, (Spiritualité orientale, 40)
[i] Né à Ioannina, en Épire (Grèce), en 1945, le Métropolite Hiérothéos Vlachos a fait ses études à la Faculté de théologie de l’Université de Thessalonique. Jeune homme, il s’intéressa particulièrement aux Pères de l’Église et travailla à la recension de manuscrits dans les bibliothèques monastiques du Mont Athos. Il a enseigné le grec et l’éthique chrétienne à l’Université du Patriarcat d’Antioche, à Balamand, au Liban. Il fut ordonné prêtre en 1971 et élu métropolite de Nafpaktos (Nauplie) et Saint-Blaise en 1995.
Son étude des textes patristiques, particulièrement ceux des Pères hésychastes de la Philocalie, unie à celle de saint Grégoire Palamas, sa fréquentation des moines de la Sainte Montagne et de nombreuses années d’expérience pastorale l’ont amené à réaliser que la théologie orthodoxe est la science de la guérison de l’homme. Ses nombreux ouvrages de spiritualité, de psychothérapie et de théologie ascétique on été traduits en plusieurs langues. En français, on lui doit, entre autres, Entretiens avec un ermite de la Sainte Montagne sur la prière du cœur (Paris, Éd. du Seuil, 1994), La Vie après la mort (Paris, L’Âge d’Homme, 2002) et Psychothérapie orthodoxe (Lévadia, Monastère de la Nativité de la Vierge, 2006). Dans ses écrits, il transmet l’esprit de la Philocalie et montre comment les Pères neptiques peuvent aider à guérir les maladies de l’âme de l’homme moderne en butte à toutes sortes de problèmes existentiels.
Les membres de l’Association Saint-Silouane l’Athonite qui ont fait le pèlerinage en Grèce du Sud en 2005 ont eu le privilège de le rencontrer au monastère de la Nativité de la Mère de Dieu, situé à Akrephnion, près de Lévadia, où il leur a parlé des étapes de la croissance spirituelle. Il a aussi évoqué pour eux celui qui fut son professeur à Thessalonique, le Père Jean Romanidis (voir le Bulletin 13 de l’Association Saint-Silouane l’Athonite, janvier 2006).